lu en 1978-79
1- Notes prises en cours de lecture de l’édition Fasquelle Flammarion de 1956 en 4 tomes .
Tome 1 (1851-1863): excellentes pages sur Gavarni, sa passion du calcul intégral, liste d’anecdotes spirituelles. Balzac très apprécié. Drôle: tableaux d’une vie d’artiste et portraits de journalistes modestes, les gargotes, les prostituées. Spirituels, esprits libres, lucides sur la sottise du pouvoir: l’Empire et sa censure. Rien de psychologique ni même de vraiment personnel, une femme apparait de temps en temps, ils évoquent ceux qui les entourent, amis et relations. Nombreuses histoires de femme, cynisme à la Renard. Aristocrates, anti-bourgeois, antisémites, ils ne croient qu’à la propriété agricole, opposés aux Affaires, aux fortunes en Bourse, nient les apports de 89. A partir de 55-56 moins d’anecdotes, notations plus personnelles. Influencés par le 18ème. Passion pour les objets, les estampes, collectionneurs ils s’ouvrent à un autre monde en visitant des Salons. Leur affection mutuelle, union fraternelle remarquable. Noms fréquemment cités, leurs fréquentations régulières et d’autres: Scholl, Hugo, Barbey D’Aurevilly, Sainte-Beuve, Baudelaire, Delacroix puis la Princesse Mathilde dont ils fréquentent assidument le salon. Le soir dans les cafés des grands boulevards: les littérateurs, les lorettes. Une vie de liberté assez aisée: sortie, vie nocturne, dîners… 57-58: accentuation du travail sur le style, récits de rêve. S’étonnent de n’être pas encore arrivés, réflexions sur la difficile condition de l’homme de lettres. Jamais une réflexion sotte ou ridicule, toujours intelligents. Indifférents à l’idée de patrie, sceptiques sur l’amour. En gros: tristes et blasés. Sur Napoléon: pas une passion gratuite, admirable comédien qui a tout calculé. Préfèrent Diderot à Voltaire. Ce Journal permet de vraiment pénétrer le siècle. Connaissent des actrices: les soeurs Félix (Rachel, Léa, Sarah), La Doche. Fréquentent assidument Flaubert. Lecture qui donne de l’énergie, de la confiance en soi et l’envie de vivre et de réussir en littérature. Leur émotion à l’hôpital devant l’âme charitable des religieuses-infirmières. Voyages en Allemagne, en Hollande. Aristocrates réactionnaires. Se plaisent à montrer les moeurs (mauvaises) de l’époque, les travers des personnages du temps, l’avarice, les folies commises pour l’argent, rapportent les sottises des hommes les plus respectables et respectés: Michelet, Flaubert, Sainte-Beuve.
Tome 2 (1864-1878): A leurs fréquentations habituelles, Flaubert, Théophile Gautier, Sainte-Beuve s’ajoutent Taine, Renan, Michelet, Zola, Jules Vallés, Viollet-le-Duc. Cabale contre leur pièce Henriette Maréchal. Séjours chez la Princesse Mathilde. Jules sombre dans la folie: plus de communication, la mort, une émotion terrible. Edouard est distrait de sa douleur par la guerre de 1870. Excellentes pages sur le Paris de 1870. Opposé à la Commune qu’il juge comme le règne de la médiocratie. Drôle de vie: plus de sommeil, plus de nourriture. Lié avec le dessinateur et critique Burty. Verlaine nommé. Voyage en Allemagne à l’été 72. Alphonse Daudet apparait en mars 73. Tourgueniev. Dîners mensuels nombreux, essentiellement littéraires: Magny devenus Brébant, les Spartiates, le Temps. Flaubert, Zola, Daudet, Tourgueniev, fidèles. Grand agrément auprès de Mathilde. Maupassant sur la sexualité de Swinburne et Pavel p 1044. Les byzantins du mot et d ela syntaxe: Mallarmé. Zola le sexe p 1059, Coppée p 1172. Irritation contre la critique toujours haineuse. Intérêt croissant pour l’art japonais.
Tome 3 (1879-1890): Zola, Flaubert et Daudet connaissent le grand succès. Moins pour Edmond. Pour tous les maladies, présages de la mort, qui gâchent les succès et l’aisance financière. Le « coup » de la mort de Flaubert. Premières des pièces de Daudet (Jack) et Zola (Nana). Contacts avec les hommes politiques, Gambetta. Grande estime pour les Daudet: Alphonse devenu riche, auréolé de succès mais très malade. Drames de la vie, cruauté de la vie: mort de De Nittis p 368, lourd pessimisme: le bonheur est-il donc impossible? Peut-on être tranquille en restant simple et sans exigence? En 85 Edmond inaugure son Grenier: un pièce aménagée qui est le lieu d’une « parlote littéraire » le dimanche après-midi. Egoïsme de Zola qui ramène tout à lui p 420. Edmond certain de sa grande valeur littéraire. Ses pièces continuent d’être jouées mais restent peu à l’affiche: les Premières réussies sont suivis d’éreintements d ela critique qui les font tomber immédiatement. Insupportable Heredia p 618. Zola: Machiavel et méchant p 645. Dumas Fils. Affaire avec Mademoiselle Zeller: il refuse le mariage pour se consacrer à la création de l’Académie Goncourt. En 1887 premier vrai succès avec la parution du Journal p 721. Les écrivains qui « signent leurs phrases », qui ont un style personnel qui n’appartient que eux: La Bruyère, Bossuet, Saint-Simon, Chateaubriand, Flaubert. Rosny drôle p 752; Antoine intéressant p 772; belle lettre de Romain Rolland p 888. Affaire Abbatucci/Popelin/Mathilde. Moins de détails quotidiens que chez Léautaud. Edmond demande à la littérature non du roman mais des « morceaux de vie vraiment vécue », les « dévoilements d’âme d’un être réel ». Charmante peinture de l’amour Léon-Jeanne (Daudet): yeux dans les yeux, bavardages interminables.
Tome 4 (1891-1896): Tyrannie de Charcot sur la médecine. Visites de Jules Renard « Je n’aime plus que la lecture de l’Histoire, des Mémoires… » Grande et unique amitié avec Daudet. Surprise à la séparation Léon-Jeanne, les plus grands amours ont une fin.
5000 pages dévorées avec passion. 5000 pages bourrées d’anecdotes sur l’intimité des hommes et de femmes de la seconde moitié du 19ème siècle. Toutes les qualités que j’apprécie en littérature se trouvent dans ce Journal. On y parle des gens que j’aime, les écrivains, sur un ton direct, intelligent, franc, subtil. Il n’y a que Léautaud pour user d’une telle liberté de ton. Les Goncourt évoquent régulièrement la sexualité avec une totale liberté d’esprit, hors des conventions de l’époque. C’est bien sur le personnage d’Edmond qui ressort mais Jules était peut-être plus intéressant, plus fin. Je ne m’attendais pas à une lecture aussi exquise. Ils évitent les descriptions philosophiques et les digressions psychologiques. Ce n’est pas tant un journal intime que des mémoires de la vie littéraire. On ne participe pas à l’élaboration de leurs livres ni précisément à leur vie quotidienne. Ils ne fréquentent pas seulement des écrivains mais tous les artistes au sens large: peintres, sculpteurs… Ouverts ils fréquentent une foule de personnalités, toutes les célébrités de l’époque, mais leurs amitiés sont plus restreintes. Ils n’accordent leur estime qu’à bien peu. Leur cercle proche: Zola, Flaubert, Daudet, Gautier, puis Maupassant. Edmond est resté un auteur pour gens de lettres, il n’a jamais connu de succès populaire.
2- Conclusion: ce Journal dit beaucoup sur « la vie », une éducation remarquable à mes yeux. Les deux frères cependant se montrent constamment tristes, malheureux, amers, sombres. Bien peu d’enthousiasme. Je me crois plus philosophe qu’eux: sachant m’accommoder de ce qui vient, se satisfaire de sa situation par amour-propre. (note de 2020: l’amertume gagne du terrain) mais tout est question de sensibilité. Chacun sa croix. Edmond trace de sa vie un portrait sombre. Est-il juste? N’est-ce pas qu’une question de tournure d’esprit? Je me disais: si la vie ne procure aucune satisfaction vaut-elle d’être vécue? Ce Journal démystifie complètement les grands personnages qui apparaissent semblables à tous avec leurs faiblesses et leurs petitesses. Les différences entre les êtres humains sont superficielles. Il est reproché à Edmond sa méchanceté, sa « dent dure ». Il est certes sans indulgence mais tout homme doué d’une plume franche et libre se montrera tout aussi sévère. Il s’agit aussi pour l’écrivain de distraire, de moquer ou d’admirer.
Journal à placer au tout premier rang à côté de Léautaud, au-dessus de Gide, Renard, Constant, Delacroix, Stendhal.
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