lu en mai 1982
En 1938 Abel Tiffauges est garagiste à Paris. Sa maitresse Rachel vient de le quitter. Elle l’a traité d’ogre et de monstre. Il sent en lui quelque chose de féérique, de lointain. Tout lui vient de son passage au Collège Saint-Christophe, à Beauvais. Il y a surtout subi l’influence de Nestor, fils du concierge, sorte de bébé géant, disposant de tous les passe-droit dans l’établissement. Nestor avait fait d’Abel son protégé. Abel qui, à travers ses souvenirs et les hasards du quotidien, découvre son goût pour les enfants, un goût où le sexuel n’entre pas. Il guette la sortie des écoles, photographie, enregistre les récréations. Le bonheur pour lui c’est porter un enfant sur ses épaules, dans ses bras: la phorie.
Commence la guerre qui le sauve d’un procès pour un viol qu’il n’a pas commis. Dans l’armée, près du Rhin, il est sapeur-colombophile puis prisonnier. Au cours de sa captivité il se lie avec un élan pour lequel il éprouve la même sympathie que pour ses pigeons. Il est transféré à Rominten, le domaine de chasse de Göring. Il est valet. Göring est l’ogre qui dévore les cerfs. Abel se retrouve ensuite à Kaltenborn, une Napola, un centre de formation des jeunesses hitlériennes: des garçons de 10 à 15 ans. Il est heureux, il les porte, les nourrit, les observe. Les Russes mènent un vaste offensive. Abel se laisse mourir dans la vase.
Un excellent livre qui se dévore pour l’essentiel. Une construction achevée, des idées originales. Travail admirable. L’idée n’alourdit jamais le récit toujours vivant. Tournier utilise à la fois un style simple, presque familier, et un vocabulaire classique, recherché, obsolète, mélange curieux déjà vu chez lui. De même pour les idées et le ton. Ton sérieux mais qui touche parfois à la drôlerie, des idées osées sur la défécation et les organes qui s’y rapportent. Et tout passe à merveille. Un grand livre, je me risque à le penser.
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