Isidore Isou L’AGRÉGATION D’UN NOM ET D’UN MESSIE***

lu en septembre 1980

En quelques mots: un jeune homme de 21 ans quitte sa Roumanie natale et débarque à Paris en 1946. Il écrit alors son autobiographie, non pas chronologiquement mais idéologique, pédagogique.

Théoriquement: le livre comporte quatre grands chapitres entrecoupés de carcasses théoriques, précédés d’une préface dans laquelle il explique son but: créer un nouveau roman pour un nouveau type de héros, le héros isouien, parfait et réussi, le Réussi Parfait.

Pratiquement: Isou raconte la formation de son personnage avec un objectif, décidé ou présagé par son père avant même sa naissance, en faire un génie. Isou, après un refus momentané d’obéir aux espoirs paternels, se lance vivement, brillamment vers la Réussite, la Perfection. Il le sent, l’exprime tout jeune: « Je devais arriver à être le plus grand cow-boy de notre temps. » p 123 « Puis je serai le plus grand homme de mon siècle, le plus grand esthéticien, le plus grand philosophe, le plus grand accumulateur d’éternité. réussir tout partout, dépasser chacun dans tous les domaines, artistiques et même scientifiques. Un Rimbaud dans l’Académie. » p 163 Il explique comment, dans ses rencontres, en Roumanie, avant ses 20 ans, il se montre précoce, remarquable aux yeux de ses interlocuteurs. Il influence, forme, construit… p 205 Pour obtenir cette Réussite, son Nom, il lutte, il travaille sans aucune distraction. Il écrit entre 20 et 40 pages chaque jour. Ses projets se réalisent presque. « Je me rappelle que je devais aussi, selon mes plans, à cet âge, 20 ans, obtenir le Prix Nobel, et que je ne l’ai pas encore. Je devais être un des plus grands écrivains de mon temps et je ne le suis pas encore. -Je devais être riche, très très riche… Mais je me compare avec celui d mon passé. Oh! Je suis déjà en France, mon premier livre est déjà à l’imprimerie… » p 336 La réussite totale passe pa réa gloire, l’argent, le bonheur: « Je lutte pour le record du bonheur… » p 401 Encore: « je dois recevoir autant de gloire et d’immortalité que Shakespeare, Cervantés, Mallarmé et Spinoza tous ensemble. » p 408

Cela semble extravagant et pourtant! Isou n’a peut-être pas acquis la totale réussite mais il est un personnage extraordinaire à la biographie chargée, bibliographie, filmographie. Proche de Raymond Roussel par la certitude de son génie et de la gloire, il se montre à la fois plus désinvolte et fantaisiste mais tout autant travailleur acharné, d’une détermination sans égal et sans fin. Absolument extraordinaire, immense créateur dont la naïveté me touche profondément. Naïveté et sincérité. Anecdote: son père qui s’entraine sur un chien avant sa naissance. Gamin il a compris que Paris est le centre du monde, que le français est La langue. Chapitre étonnant sur le judaïsme – qui aurait réconforté Albert Cohen – système du bonheur, de la réussite d l’homme opposé au christianisme qui entraine l’obscurité et la pourriture de l’homme. Surprenant panégyrique de Staline. Il possède une culture formidable. Il se bat contre lui-même, se fouette pour avancer, pour travailler toujours plus dur.

Pourquoi alors si peu de réussite, si peu de notoriété? Il possède toutes les qualités intellectuelles pour être reconnu comme un immense penseur – créateur de valeurs nouvelles – pourquoi pas lui? mais son erreur consiste à lier logiquement les capacités intellectuelles à la gloire, à la réussite, au bonheur. Il compte sur la logique or ce n’est pas la logique qui préside aux destinées. Rentrent en compte d’autres facteurs humains. Pour acquérir la gloire d’un acteur de cinéma, d’un écrivain populaire, les qualités sont tout autres. C’est peut-être le marxisme qui a influencé sa croyance en la logique mais il est loin de se considérer comme marxiste. Il invente sa propre idéologie, au-delà de toutes celles qui ont existé, il ambitionne de tout renouveler.

Son style: une phrase sculptée, travaillée, pour être précise mais avec une maladresse qui vient de ce que le français n’est pas sa langue natale. Une maladresse attachante. Analogies pertinentes et subtiles mais qui parfois alourdissent le texte, p 212: comme… comme…

Un livre, un personnage extraordinaires, un coup de massue, une falaise qui s’abat. Une originalité, une force. Sa folie mégalomaniaque me le rend cher. Il a voulu, inébranlable.