lu le 12-13 février 1980
Curieux de lire du Genet, j’ai choisi ce roman, par hasard. Je l’ai lu en deux fois, interrompu par la nuit. Le narrateur, Genet lui-même, mélange le récit de sa vie de prisonnier avec un roman dont les héros sont Divine, une tante de Pigalle, qui vit avec Mignon, un mac et Notre-Dame-Des-Fleurs, un jeune criminel qui finira guillotiné. La vie, sur 10 ans, 1920-1930, de Divine et Mignon avec Notre-Dame et d’autres. Divine se montre tendre et douce, touchante.
Genet sait rendre ses voyous adorables et séduisants. Un roman voluptueux rempli de corps, de chair, de sexes et d’amour. Le charme des héros se combine au drame de l’auteur emprisonné à Fresnes. Je redoute particulièrement la privation de liberté. Lui n’en souffre pas ou du moins ne soupire jamais après la liberté, il s’invente des histoires.
Le fait de ne pouvoir démêler le vrai de l’imaginaire m’a dérangé parfois. Je veux toujours savoir la part d’autobiographique. J’ai besoin de vraisemblance pour me laisser aller complètement. Genet s’en moque. Il écrit dans une forme libre, tout coule aisément. Il lance des images, des couleurs, c’est très réussi.
Un très bon bouquin, intense, touchant. C’est profondément humain, bouleversant de tendresse. Il a une façon de parler d’amour qui me semble unique, à la fois infiniment tendre et sensuelle; ça sort du coeur directement. Remarquable.
Le condamné à mort: poésie qui m’accroche moins. Je manque toujours de patience pour lire un poème, même si j’en pressens la beauté.
Court extrait si frappant quand on écoute la chanson d’Etienne Daho Sur Mon Cou.
« Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes
On peut se demander pourquoi les cours condamnent.
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour. »
Je recopie le texte de Genet à la fin du poème:
J’ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil. En esprit je revis avec lui les quarante derniers jours qu’il passa, les chaînes aux pieds et parfois aux poignets, dans la cellule des condamnés à mort de la prison de Saint-Brieuc. Les journaux manquent d’à propos. Ils commirent d’imbéciles articles ponr illustrer sa mort qui coïncidait avec l’entrée en fonction du bourreau Desfourneaux. Commentant l’attitude de Maurice devant la Mort le journal l’Œuvre dit… Bref on le ravala. Pour moi, qui l’ai connu et qui l’ai aimé, je veux ici, le plus doucement possible, tendrement, affirmer qu’il fut digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d’avoir le bénéfice d’une telle mort. Chaque matin, quand j’allais, grâce à la complicité d’un gardien ensorcelé, par sa beauté, sa jeunesse et son agonie d’Apollon, de ma cellule à la sienne pour lui porter quelques cigarettes, levé tôt il fredonnait et me saluait ainsi, en souriant: Salut Jeannot du matin ! Originaire du Puy de Dôme il avait un peu l’accent d’Auvergne. Les jurés, offensés par tant de grâce, stupides mais pourtant prestigieux dans leur rôle de Parques le condamnèrent à 20 ans de travaux forcés pour cambriolage de villas sur la côte, et le lendemain, parce qu’il avait tué son amant Escudero pour lui voler moins de mille francs, cette même Cour d’assises condamnait mon ami Maurice Pilorge à avoir la tête tranchée. Il fut exécuté le 17 mars 1939 à Saint-Brieuc.
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