Pastiche À la manière de Balzac: HISTOIRE DE RAMUNTCHO PINOTO DEL CONCOMBRISSIMO

En 1980, à l’époque où commence cette histoire, Orléans était une de ces bourgades amenant le sourire de l’envie sur les lèvres des voyageurs qui descendaient la Loire jusqu’à Tours puis Nantes. Mais ils ne s’y arrêtaient point. Pourtant il y aurait eu pour eux de l’agrément à traverser cette ville en flânant. Dans la Rue Royale, fameuse pour ses arcades, taillées à même la pierre brute extraite de carrières proches de Pithiviers et qui forment un ensemble architectural des plus remarquables dans cette région d’Île De France, dans la Rue Jeanne D’Arc, cette héroïne héritière de Cléopatre et Salammbô qui, par son courage belliciste, immortalisa le nom d’Orléans, nos commis voyageurs auraient joui du spectacle d’assez jolies femmes qui s’y rendent chaque après-midi comme pour y rivaliser d’élégance. Une élégance qui pouvait laisser indifférent le Parisien habitué aux femmes divines du Faubourg Saint-Germain, les Marquises D’Espard, les Duchesses de Grandlieu, de Maufrigneuse, mais qu’un homme honnête et impartial, vrai connaisseur, désireux de s’attacher une pure franchise, un coeur entier comme il ne s’en trouve plus dans le Paris moderne, aurait trouvée à son goût. C’est la pureté du teint qui distingue la femme d’Orléans de ses semblables des villes voisines. Orléans, fondée en 143 par Marcellus Crassus, a toujours jumelé l’avantage d’un climat tempéré par la proximité de la Loire et une situation élevée qui la protège des airs malsains qui règnent plus bas qu’elle, en Sologne.

La femme d’Orléans, habituée à cette qualité d’air, conserve ainsi un teint de rose, un incarnat d’une extraordinaire délicatesse, qui la fait chérir de nombre d’hommes. Cependant malheur à elle si elle s’exile, s’il lui arrive de quitter sa ville natale pour Paris, la fraîcheur de ses joues y disparaît vite et bien des mariages furent rompus par cette cause que la physiologie moderne ignore encore.

En remontant le Faubourg Bannier jusqu’à la hauteur de l’Hôtel De Police, le touriste curieux peut apercevoir à sa gauche un immeuble d’apparence cossue, bâti à la fin du XIXème par un architecte né dans la région, Mr Paul Tricouillard qui, par grâce préfectorale, obtint la faveur, très disputée à l’époque, de suivre l’enseignement du grand Viollet-Le-Duc. L’influence du Maître se ressent nettement dans la façade de l’immeuble à travers sa pureté classique nullement altérée par les appuis de fenêtre d’origine ancienne. Le dessus du portail s’orne de la devise rabelaisienne de son propriétaire, transcrite en vieux français: Femme Je Vis Je Séduisis J’Emplis.

Si le voyageur pousse la lourde porte usée par les ans, s’il pénètre dans la demeure, il apercevra un long couloir sombre sur les murs duquel la faible luminosité lui permettra tout juste de distinguer quelques eaux-fortes fanées, jaunies, vieillies, représentant des scènes de chasse plus naïves que réelles, assez dénudées pour donner une idée fort précise du personnage mystérieux qui jadis en commanda l’exécution. Miracles et mystères de la province, quel historien osera vous sonder et vous montrer telle que vous êtes?

Le couloir n’a d’autre issue qu’un escalier nommé là-bas escalier colimaçon, apparenté au type parisien de l’escalier tournant. En grimpant l’escalier jusqu’au faîte, toujours dans la pénombre, le touriste curieux parviendra dans un local de taille réduite, rectangulaire, qui voit le jour grâce à une minuscule fenêtre de facture vénitienne. Une machine à coudre à jamais immobile, trois porte-manteaux surchargés de blousons de cuir rapés complètent le décor de ce réduit qui servit de grenier à sel pendant la Révolution et où les accapareurs, qui furent nombreux à Orléans, avaient coutume de se réunir, soit pour échapper à la foule belliqueuse lors des journées sanglantes de 1793, soit pour préparer un nouveau complot destiné à faire tirer la langue à la riche bourgeoisie de la ville.

La porte de gauche donne accès à l’appartement où vit le héros de cette scène. Le drame qui va se jouer dans cette pièce, sans témoin, défraya la chronique et alimenta longtemps les conversations des citoyens. Pourtant Orléans, au long de son histoire fougueuse, en connut d’autres: après l’occupation des Anglais les Orléanais s’émurent du crime de la rue de Joie en 1842. Bien plus tard la ville fut en partie détruite par les bombardements allemands de 1940.

Mais revenons à notre héros. A l’instant où commence cette scène cet homme à la fabuleuse destinée dort encore. Caché par un drap qui ne le recouvre qu’en partie, il laisse cependant le champ libre à la description. On devine un homme de taille moyenne, jeune encore, au front décidé et ample, front qui annonce l’homme de décision et de persévérance, partiellement dissimulé sous une touffe de cheveux gonflés, désignée à l’époque par le terme exotique de banane. Bien en chair, sinon gras, musculeux, aux épaules carrées et trapues, on lui reconnaissait un fessier solide et large, trait commun aux hommes d’action et de réussite. Enfin tout son être respirait la force et la confiance en soi. Rubempré par la finesse des traits, il était Vautrin par la force tranquille qui se dégageait de ses moindres gestes: la respiration ou le jet de salive.

Le Signor Ramuntcho Pinoto Del Concombrissimo se leva à 9 heures. Pour se réveiller complètement il se lança dans une série de mouvements d’une gymnastique compliquée exigeant de puissants efforts. Il procéda ensuite à une toilette détaillée. Il se saisit d’un des flacons d’eau de toilette qui garnissaient l’espace au dessus de la cheminée et vaporisa longuement les endroits intimes du corps qui exigent une telle hygiène. Cette manie extrême de la toilette lui venait de son illustre famille.

Le premier Pinoto, parfois orthographié Pinhaut-o, voire Pin-auto, est signalé en France en 1823 dans la région de Montpellier. L’année précédente, le jeune Paco Pinoto s’était rallié à l’expédition française montée par Chateaubriand, alors ministre des Affaires Étrangères, qui intervint en Espagne pour enlever Ferdinand VII des mains des hommes des Cortes afin de le remettre sur le trône. Le vigoureux Paco se signala au commandant de l’expédition, le Duc D’Angoulême, par sa bravoure immense quoique réfléchie ainsi que par sa grande vivacité stratégique. le Duc résolut alors de se l’attacher. Il lui donna le grade de Général et le titre de baron près d’Aigues-Mortes. Paco accepta de suivre son bienfaiteur en France mais il exigea qu’on ne le ferait pas monter plus haut que Montpellier. Le Duc s’y résigna. Il se livra alors à l’élevage de taureaux de corrida et fit rapidement fortune. Dès 1826 il avait placé 400.000 écus sur le Grand Livre qui lui rapportaient bon an mal an une rente de 80.000 francs. Cette aptitude aux affaires lui venait de ses ancêtres arabes dont l’un fut abandonné, gravement blessé, sur la terre de Concombrissimo, au retour de l’expédition manquée, repoussée par le fameux Charles Martel.

L’Arabe devint Espagnol, l’espagnol devient Français mais garda son nom espagnol, dernier hommage à l’accueillante patrie. Le Signor Ramuntcho s’habilla pour sortir. Il choisit son plus distingué Teddy Boy, ses Tiags les plus fines, s’examina longtemps dans la glace, brossa la banane et s’engagea dans l’escalier. Il donnait le ton à toute la jeunesse par cette sorte de chic grandiose qu’on aurait pu qualifier de lumineux, d’inné.

Homme de littérature, homme de rock’n roll, homme à femme surtout, il possédait à la fois l’esprit, le talent, le courage comme on ne les retrouve que rarement réunis chez un homme de province, même véritablement supérieur. Il marchait les genoux écartés, trahissant ses aptitudes de grand jockey. Allié des plus hautes familles de la ville, les Lefèbvre de Sole et les Sédard-Jacquet il se trouvait ainsi dans la possibilité de monter les plus beaux chevaux de leurs écuries. Le soir, après le souper, et avant de partir vers la discothèque, qui déjà remplaçait le bal, il disputait dans le salon de ses amis une partie, d’Ascot, jeu fameux qui détrônait le whist, cette passion des hommes faits, proclamait Montalembert. Il se montrait au jeu d’une honnêteté scrupuleuse et sa volonté de faire triompher le meilleur joueur, dût-il lui même y perdre, faisait l’étonnement de ses adversaires quelque peu stupéfaits de cette leçon de civilité et de loyauté.

Ramuntcho marchait, allant droit vers la Rue De La République dans laquelle il devait rejoindre une de ses maîtresses. Le visage de notre héros saisissait puis attirait les femmes grâce à cette matité du teint qui trahissait l’homme supérieur, doué par ailleurs d’une prodigieuse virilité. Il aperçut la jeune maîtresse qui se dirigeait vers lui. Il repoussa ses transports avec fermeté et lui signifia en peu de mots ses adieux. Le bon Signor n’avait pas pour habitude d’aller deux fois avec la même femme. Une femme connue, au sens biblique du terme, était pour lui une femme sans plus d’attrait, sans mystère.

Certaines mauvaises langues affirmaient que ce principe, si rare dans une ville comme Orléans, dissimulait un mensonge chaque fois répété. Les esprits ironiques prétendaient que si le Signor Ramuntcho ne pouvait aller deux fois avec la même femme c’était parce que celle-ci n’avait déjà pas voulu qu’il y allât une première.

Il entra plus loin dans un café qui répondait au très poétique nom de Colombia. Dès son premier pas dans le sanctuaire du punk rock et de l’intelligentsia orléanaise les regards féminins se tournèrent vers lui. En face de ces yeux-là, de ce regard indomptable, la femme n’est qu’un jouet renvoyé comme un volant sur des raquettes, ballotée entre la vertu et le désir qui la gagne quasi-instantanément. Ramuntcho, habitué de longtemps à ces hommages si mérités, n’y prêta guère attention quoiqu’il s’en avoua l’effet bénéfique sur son rythme cardiaque. Il n’en tirait cependant pas la moindre coquetterie. Il alla s’asseoir près d’une jolie inconnue. Celle-ci fut immédiatement attirée par la considérable bosse formée, sous la ceinture du blue jean du beau Ramuntcho, par le prodigieux instrument de plaisir, cette verge des verges, que possédait ce héros des temps modernes. Elle tressaillit et sentit monter une vague de chaleur qui la pénétra au plus intime d’elle-même et contre laquelle son organisme lutta par une émission de liquide subtil. Ils se retrouvèrent bientôt dans un hôtel sur les quais qui portait le curieux nom de Borel. Les historiens, intrigués par cette réminiscence latine, ne purent déterminer avec certitude si ce nom avait été légué à l’établissement de nuit par le poète lycanthrope Petrus Borel. Mais, faute de disponibilité, ils furent contraints de se réfugier dans l’appartement du héros.

La jolie femme s’étendit nue sur le lit, attendant avec une impatience fort mal dissimulée que son amant l’y rejoigne. Ramuntcho profita de ce que sa compagne fût une seconde distraite pour vaporiser une eau de toilette régénérante sur son phallus de géant. Aussitôt celui-ci se dressa tel un cylindre d’une longueur et d’un diamètre épouvantables.

Il se retourna et s’approcha du lit de tous les exploits. A cet instant, la femme aperçut le braquemart, le mât fondateur de l’humanité, cet objet prodigieux qui fit et défit le monde. Horrifiée par son gigantisme elle hurla et se jeta par la fenêtre. Le terrible phallus, suprêmement excité par cette scène inattendue s’allongea encore au point de heurter le menton de son propriétaire qui, respiration bloquée, tomba à terre, suffocant.

Les voisins le trouvèrent mort, le lendemain. Cet homme qui méritait tellement son nom latin de vir, érigeait encore. On fut obligé de découper l’instrument de vie et de mort afin d’installer le cadavre dans la bière.

Orléans, mai 1980

Dédié à Raymond, Eric, Skender, Caroline…

Laisser un commentaire